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du cinquième livre ; et, tout en rendant justice aux discours et aux descriptions, il ne se retenait point de traiter Sophie « d’insupportable pie-grièche. » Tel n’était point le sentiment des femmes, et Sophie n’inspira presque pas moins d’enthousiasme que Julie. Rousseau eut à ce moment son année du Cid, une de ces années où le cœur de tout Paris bat à l’unisson pour un personnage imaginaire ou réel, pour une idée. Si les gens de lettres discutèrent, dans le monde il n’y eut qu’un avis ; les femmes surtout s’enivrèrent des livres et de l’auteur, « au point, dit-il, qu’il y en avait peu, même dans les hauts rangs, dont je n’eusse fait la conquête, si je l’avais entrepris ; j’ai de cela des preuves que je ne veux pas écrire. » Et les prudes du salon de Mme de Genlis déclarent elles-mêmes en effet « qu’il n’existait pas une femme véritablement sensible qui n’eût besoin d’une vertu supérieure pour ne pas consacrer sa vie à Rousseau, si elle pouvait avoir la certitude d’en être aimée passionnément. » Les imaginations montées le transformaient en une sorte de directeur de conscience. On provoquait ses conseils, on les propageait, on les défendait dans les brillantes controverses des soupers, comme dans les discussions intimes de la famille. « Mon ami, disait la femme de Marmontel, il faut bien pardonner quelque chose à celui qui nous a appris à être mères. »

Quel est le secret de cet ascendant ? Comment Rousseau s’était-il conquis un sexe qu’il avait tant de fois attaqué, et dont il ne manquait pas une occasion de signaler sous une forme désobligeante la frivolité incurable ? Il faut sans doute en chercher d’abord la cause dans la puissance de son talent. Il n’était pas le premier