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dangereuses. Ce n’est pas sur la solidité de Sophie que Rousseau peut compter ; il la livre sans défense à toutes les séductions. Cette fille de la nature n’est jamais naturelle. L’amour de la vertu, au moment où elle en est possédée, n’est point un goût sage et raisonné : c’est une passion. Elle l’aime « parce qu’il n’y a rien de si beau que la vertu ; elle l’aime parce que la vertu est la gloire de la femme, et qu’une femme vertueuse lui paraît presque égale aux anges. » Plus Rousseau fait sa destinée modeste, plus il porte haut sa pensée, non pour la rasséréner et l’épurer, mais pour l’émouvoir et l’exalter. Ce qu’il y a de sensé dans l’éducation de ménage qu’il lui donne n’est qu’une parure de convention ; on sent que ce vernis ne tiendra pas ; il semble la détacher lui-même des soins dômestiques qu’il préconise, et s’amuser de ses dégoûts. Quant aux vertus qu’il lui conserve, elles ne sont presque que des vertus de théâtre. Il les fausse en les exagérant, comme lorsqu’il se plaît, dans une sorte d’apothéose, à montrer les femmes envoyant les hommes, d’un signe, au bout du monde, aux combats, à la gloire, à la mort, où il leur plaît. « Il y a des gens, disait-il, à qui tout ce qui est grand parait chimérique et qui, dans leur basse et vile raison, ne connaîtront jamais ce que peut, sur les passions humaines, la folie de la vertu. » Finalement, il est obligé de le reconnaître : il a fait fausse route ; il a donné à Sophie une imagination trop vive : « à force de lui élever l’âme, il a troublé sa raison. »

Ce n’est pas seulement une raison troublée, c’est une raison mal assise. L’éducation que Rousseau applique aux femmes manque de moralité. Sur ce mot sans doute il