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mais il n’est pas moins sincère quand, parti de l’observation de la nature, il se laisse entraîner dans le rêve. Il a rêvé toute sa vie pour lui-même comme pour les autres. Dans le premier voyage qu’il fît de Genève à Annecy, il raconte qu’il ne voyait pas un château à droite ou à gauche, sans aller chercher l’aventure qu’il se croyait sûr d’y trouver. Il n’osait ni entrer ni heurter ; mais il chantait sous la fenêtre qui avait le plus d’apparence, fort surpris, après s’être époumone, de ne voir paraître ni dame, ni demoiselle qu’attirai la beauté de sa voix ou le sel de ses chansons. S’il marchait par la campagne, il imaginait « dans les maisons des festins rustiques ; dans les prés, de folâtres jeux ; le long des eaux, des bains et des promenades ; sur les arbres, des fruits délicieux ; sous leur ombre, de voluptueux tête-à-tête ; sur les montagnes, des cuves de lait et de crème, une oisiveté charmante, la paix, la simplicité, le plaisir d’errer sans savoir où : rien ne frappait ses yeux sans porter à son cœur quelque invention de jouissance. » La première fois qu’il vint à Paris, il se figurait « une ville aussi belle que grande, où l’on ne voyait que de superbes rues, des palais de marbre et d’or. » Lorsqu’il retraçait ces illusions trente ans après, il en souriait ; mais elles étaient là encore, dans un repli de son imagination, toutes fraîches, prêtes à renaître ; et il n’est point bien sûr qu’il n’en eût pas, tout en se moquant un peu de lui-même, la réminiscence émue. C’est cette puissance d’imagination qui donne tant de vie au cinquième livre de l’Émile. Les descriptions y abondent ; et, comme partout, la grâce naturelle et le génie de Rousseau rachètent à chaque instant les écarts de son jugement. On trouverait