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qui sait quelle en sera l’issue ? Qui sait surtout ce qu’elle produira, alors que la femme pourra s’arroger les mêmes droits que l’homme, composer avec ses sentiments et finalement y céder, le sentiment, quelle qu’en soit l’impulsion, étant devenu sa règle. L’essentiel, dira un jour Mlle d’Ette à Mme d’Épinay, c’est, « non pas que la femme reste fidèle à son devoir, mais que le choix qu’elle fait hors de son devoir se justifie et qu’elle s’attache à un homme de sens et d’honneur. » La lutte, au surplus, n’est même pas ce qui intéresse Rousseau. Ce qu’il étudie avec complaisance, c’est l’effort du relèvement après la chute. Or ces drames psychologiques, attachants dans le roman, n’ont rien à voir avec une discipline d’éducation, dont l’objet comme la grandeur est de prévenir les faiblesses, en empêchant d’en concevoir la pensée.

L’attrait du sentiment est d’autant plus dangereux dans la doctrine de Rousseau, qu’il y ajoute — comme si le sentiment n’était pas assez puissant par lui-même — toutes les ressources, tous les charmes, tous les aiguillons de l’imagination. Dieu nous garde de retrancher la culture de l’imagination de l’éducation des femmes ! L’imagination est la poésie du sentiment ; elle ouvre les horizons à la pensée, la pare, la colore et l’ennoblit ; elle est la grande réparatrice, la consolatrice suprême des vicissitudes, des misères, des inégalités de la condition humaine. Encore faut-il qu’elle soit réglée, qu’elle se mêle à la vie pour l’éclairer, non pour la troubler, qu’elle soit une force, non un leurre, qu’elle nous soutienne, loin de nous égarer. Certes Rousseau est de bonne foi quand il répète : « J’étudie ce qui est ; c’est mon principe ; il me fournit la solution de toutes les difficultés » ;