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de justesse sur la gaieté nécessaire dans l’éducation de l’enfant. Il ne veut pas qu’une jeune fille vive comme sa grand’mère ; il aime à la voir alerte, enjouée, folâtre ; il a l’horreur des longs prônes et des moralités sèches : pourquoi faire peur aux enfants de leurs devoirs et aggraver le joug qui leur est imposé par la nature ? Il ne conçoit la religion elle-même que sous une forme attrayante ; il a tellement peur que la tristesse et la gêne ne s’y glissent, qu’il interdit de faire rien apprendre de mémoire qui s’y rapporte, même les prières. « Tout ce qui doit passer au cœur doit en sortir. » C’est presque un mot de Fénelon, moins cette grâce onctueuse que l’archevêque de Cambrai communique à tout ce qu’il touche. Nul n’a parlé de la pudeur avec une délicatesse plus exquise ; nul n’a mieux réussi à tirer des grâces de la coquetterie, « qui charme en se défendant, » une loi d’honnêteté mondaine. Et que de descriptions des premiers ravissements de l’amour, fraîches, riantes, délicieuses ! Rousseau est un poète admirablement doué pour exprimer toutes les émotions de la nature.

Le danger est de se laisser enivrer à ce charme. À vingt ans, Émile ne connaît en fait de lecture que Robinson. Les deux livres de chevet de Sophie sont Barrême et Télémaque. Elle s’est éprise du fils d’Ulysse, elle est la rivale d’Eucharis. « Ô ma mère ! s’écrie-t-elle, pourquoi m’avez-vous rendu la vertu trop aimable ? » Elle ne peut maîtriser cette tendresse où l’âme n’est point seule intéressée ; elle a la sensibilité d’une Anglaise, l’ardeur d’une Italienne. Il faut qu’Émile la sauve d’elle-même. — Et Rousseau se complaît à peindre ces flammes qu’il a nourries, ces transports qu’