Rousseau se charge lui-même de nous l’apprendre. Des traits essentiels de son système il a composé le personnage de Sophie. La fiancée d’Emile est bien née et douée avec bonheur. On peut avoir de plus beaux yeux, une plus belle bouche, une figure plus imposante : on ne saurait avoir une taille mieux prise, un plus beau teint, une main plus blanche, un pied plus mignon, un regard plus doux, une physionomie plus touchante. Sophie aime la parure et s’y connaît ; sa mère n’a point d’autre femme de chambre qu’elle ; elle a beaucoup de goût pour se mettre elle-même avec avantage : elle ignore quelles sont les couleurs à la mode ; mais on n’a pas eu à lui apprendre celles qui lui sont favorables. Sa toilette, très modeste en apparence, est, au fond, pleine de coquetterie ; elle n’étale point ses charmes, mais en les couvrant elle sait les faire imaginer. De bonne heure on lui a donné à entendre ce que valent les grâces extérieures : dans son enfance, quand elle trouvait ouvert le cabinet de sa mère, elle n’était pas d’une fidélité à toute épreuve sur les dragées ; après maintes réprimandes, un jour enfin on lui persuada que les bonbons gâtaient les dents, que de trop manger grossissait la taille ; et elle n’y revint plus. Son esprit est, comme sa beauté, agréable sans être brillant, un esprit dont on ne dit rien, parce qu’on ne lui en trouve jamais ni plus ni moins qu’à soi : elle a du goût sans étude, du jugement sans connaissances ; elle conçoit les choses, mais les retient peu. Son père et sa mère ont été ses seuls maîtres, et ils se sont bornés à lui ouvrir l’intelligence sur la pratique de la vie. Elle est instruite des devoirs et des droits de son sexe ; elle connaît les défauts des hommes et les vices des femmes ; elle
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