Quoi de plus triste pour un père de famille qui se plaît dans sa maison d’être forcé de se renfermer en lui-même et de ne pouvoir se faire entendre à personne ? Et comment une mère qui n’a pas été exercée à réfléchir dirigera-t-elle ses enfants ? Comment les disposera-t-elle aux vertus qu’elle ne connaît pas, aux mérites dont elle n’a point l’idée ? « Elle n’en saura faire que des singes maniérés ou d’étourdis polissons, jamais de bons esprits ni des enfants aimables. »
Toutefois, après avoir fait ces concessions aux lois naturelles et sociales, Rousseau en restreint singulièrement la portée. Il ne lui paraît pas nécessaire qu’une fille sache lire et écrire de si bonne heure. Compter, soit ; pour le reste, elle peut attendre douze ans. Même à cet âge il faut la borner : l’histoire ne lui convient pas, à plus forte raison les sciences ; il lui suffit des connaissances d’usage. Surtout elle n’étudiera point dans les livres : l’abus des livres chez les hommes tue la science ; la lecture ne sert qu’à en faire de présomptueux ignorants, à dresser des Platons de quinze ans à philosopher dans des cercles ; pour les femmes, elle les dénature. Mieux vaut une fille grossièrement élevée qu’une fille savante, tenant dans la maison un tribunal de littérature. Une femme bel esprit est le fléau de son mari, de ses enfants, de ses amis, de ses valets, de tout le monde : de la sublime élévation de son génie elle dédaigne ses devoirs de femme. « Toute fille lettrée restera fille lorsque les hommes seront sensés. » La véritable école pour elle, c’est la famille et le monde : la famille où elle se forme et s’entretient par la conversation ; le monde où, sous la tutelle discrète de sa mère, elle s’exerce et se renouvelle par l’observation.