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plus de crédit, Rousseau prétend « que le nom seul de Sophie est de son invention, que son éducation, ses mœurs, son caractère, sa figure même ont réellement existé et que sa mémoire coûte encore des larmes à une honnête famille, » il sait bien qu’on n’en croira rien. Par les vertus comme par les défauts qu’il lui prête, il se trahit : la vie n’a pas de ces artifices. Sophie est son œuvre, et une œuvre de système lentement mûrie. Ni ses souvenirs ni ses sentiments de famille ne durent, il est vrai, aider Rousseau à la concevoir. Il n’avait pas connu sa mère : ce fut, comme on l’a dit, son premier malheur ; le second, doublé d’une faute, avait été de mettre ses enfants à l’hôpital ; quant à Thérèse, toute sa vie elle demeura sa servante plutôt que sa compagne. Mais tous les incidents de sa jeunesse et de la libre existence qu’il s’était conservée avaient marque leur empreinte dans son âme tout à la fois méditative et ardente. À trente ans de distance, il se rappelait comme au premier jour ses jolies écolières de Chambéry ; il n’avait oublié aucun détail de son séjour aux Charmettes, et l’image de Mme de Warens ne sortit jamais de son imagination, sinon de son cœur. À Paris, dans les salons où sa mauvaise fortune l’avait dès l’abord, presque autant que ses talents, mis en faveur auprès des femmes, les femmes étaient plus que jamais le thème préféré des entretiens. Assista-t-il, chez Diderot, aux conversations qui avaient inspiré à Mme de Puysieux les Conseils à une Amie[1] ? Ce qui n’est pas douteux, c’est qu’à Chenonceaux il travaillait avec Mme Dupin à rassembler les matériaux d’un traité qu’elle se proposait

  1. Les Conseils à une Amie avaient paru en 1750.