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leur magasin » dans leurs lettres et leurs entretiens. Mme de Lambert se ménage ; elle administre son esprit comme elle avait administré et défendu sa fortune, avec sagesse et prévoyance du lendemain : on se la représente volontiers devant sa table avec un cahier de notes, mettant en réserve ses moindres pensées. Les siennes et celles de ses auteurs ; car entre son bien et celui d’autrui elle ne distingue pas toujours. Elle avait longtemps vécu sur ses extraits ; elle eut de la peine à s’en affranchir. On n’est jamais sûr que ce qu’on admire en elle soit bien d’elle. Le plus souvent, il est vrai, il semble que l’emprunt se glisse sous sa plume à son insu. Elle est pleine de réminiscences empruntées à Pascal, à La Rochefoucauld, à La Bruyère. Elle doit beaucoup à Fénelon surtout, encore plus qu’elle ne le dit, plus même qu’elle ne le pense : ce n’est pas seulement l’idée qui lui revient ; c’est le mouvement de la phrase et le mot saisissant. On lui pardonne volontiers ces larcins — c’est le terme dont elle se sert quand elle s’excuse, — parce qu’ils témoignent du zèle avec lequel elle s’appropriait, comme elle disait, les maximes du maître. Pour les écrivains de l’antiquité, Salluste, Cicéron, Pline, Sénèque, Épictète, Marc-Aurèle, Florus, dont elle s’aide souvent, il faut convenir aussi que généralement, en les traduisant à sa façon, elle les renouvelle ; et lorsqu’un souvenir sert à parer, à éclairer, à compléter, quand il ajoute quelque chose en un mot, il ne laisse pas d’avoir son prix. Mais où la citation devient fâcheuse, c’est lorsqu’elle n’est qu’une espèce de redoublement banal de l’expression d’un sentiment ou d’une observation qui ne valent pas la peine d’être développés ; surtout si l’auteur l’introduit sous cette