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Mme de Lambert aurait pris volontiers la thèse opposée. Les femmes, à son gré, sont aussi propres à l’amitié que les hommes, plus propres même, non pas entre elles, mais d’un sexe à l’autre. Entre elles, elles ne s’unissent guère que par nécessité ou par intérêt, comme les hommes que l’intérêt divise aussi vite qu’il les a réunis. D’un sexe à l’autre, il n’y a pas les mêmes raisons de concurrence ou d’envie ; et le lien, plus solide, est en même temps plus doux. On a beau dire qu’il faut donner à l’amitié des fondements moins fragiles que la sensibilité : si le goût ne s’en mêle, on ne va ni bien vite ni bien loin. Les hommes ne se tiennent entre eux que par l’esprit ; les femmes seules, parlant au cœur, savent tirer d’un sentiment tout ce qu’il renferme ; elles communiquent à ces sortes d’amitiés — amitiés de sympathie ou « d’étoile » — une vivacité, une chaleur que rien n’égale : de toutes les unions, c’est la plus charmante[1].

On ne saurait faire valoir avec un mélange plus heureux de retenue et de hardiesse les privilèges que les femmes doivent à leur sexe. Mais Mme de Lambert n’ignore pas ce qui en fait la faiblesse. Les agréments physiques ne durent point : il y a peu de temps à être belle et beaucoup à ne l’être plus. Ce serait un heureux traité à passer avec l’imagination que de lui rendre ses plaisirs à la condition qu’elle ne ferait pas sentir ses peines ; mais plaisirs et peines sont attachés à la même chaîne : le plus souvent ce sont les « ajoutés » de l’imagination qui créent les troubles ou le chagrin ; si elle

  1. En traçant cet idéal, Mme de Lambert pensait-elle à La Fontaine et à Mme de la Sablière dont elle loue en maints endroits la raison aimable ?