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puissant. On a trouvé mauvais que ce fût à ses enfants qu’elle fit la confidence de ses observations et de son expérience ; or il n’est que juste de le remarquer : dans les Avis d’une mère à sa fille comme dans les Avis d’une mère à son fils, Mme de Lambert ne parle de l’amour que pour en combattre les séductions ; ses enfants étaient d’ailleurs l’un et l’autre en âge d’entendre de tels conseils ; et le traité où elle développe sa métaphysique est dédié à une amie touchant comme elle à la vieillesse, Mme de Vatry. Enfin il n’est pas jusqu’à sa propre dignité qu’elle n’ait paru compromettre : un auteur anglais, traducteur de ses œuvres, avait écrit que ses Réflexions sur les femmes n’étaient que son apologie ; à quoi elle répondit elle-même d’un mot, non sans fierté : « Je n’ai jamais eu besoin d’en faire » ; témoignage qui est confirmé par les contemporains. La vérité est qu’elle ne se défendait pas d’avoir l’âme sensible. Non seulement elle s’en faisait honneur pour elle-même, mais elle y attachait une partie de la supériorité de son sexe dans les relations de la vie, particulièrement dans l’amitié. L’amitié était une matière à controverse parmi les beaux esprits au dix-septième siècle. Un jour, dans le salon de Mme de Sablé, on avait présenté sous la forme d’une maxime que « l’amitié n’est qu’un trafic » ; et aussitôt tous les cœurs délicats d’entrer en émoi. Le paradoxe était-il de La Rochefoucauld ou de Saint-Évremond ? Saint-Évremond n’eût pas craint de le prendre à son compte. On sait avec quelle grâce il s’ingéniait à peindre l’amitié sans l’amitié : le sentiment pût-il être sérieux et désintéressé, il ne croyait pas les femmes capables d’en concevoir la profondeur ni d’en soutenir la fidélité.