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la portée à tout ce qui suppose ou exige la finesse primesautière de l’esprit : c’est le goût qui dès l’abord saisit les choses, sans qu’il en coûte aucun effort à la raison, ni même que la raison ait à en prendre souci. Ainsi s’était-elle formé à elle-même, non sans excès d’impatience, son jugement sur Homère dans la querelle qui divisait ses amis. On lui avait trop fait connaître sans doute les endroits où Homère sommeille et elle le disait franchement : il m’ennuie. « J’ordonne à ma petite raison de me taire, écrivait-elle à ceux que cette sincérité scandalisait ; mais mon sentiment est mutin et indépendant. Imaginez, si vous voulez, que je ne pense rien ; mais je sens, et je ne sens rien d’agréable quand je lis Homère. » Le fond du goût est donc la sensibilité, et la sensibilité est proprement l’apanage des femmes. Mme de Lambert en développe çà et là les caractères avec une complaisance qui sur plus d’un point touche aux extrêmes. Elle ne se borne pas à établir à bon droit que le sentiment ne nuit pas à l’entendement, bien plus qu’il l’illumine et l’échauffe : ce qui explique que toutes les passions sont éloquentes ; elle affirme que, chez les femmes, les idées s’arrangent plutôt par sentiment que par réflexion, la nature raisonnant pour elles et leur épargnant tous les frais. Poussant plus loin encore cette subtile analyse, elle fait du sentiment le régulateur de la conduite et le maître de la vie. C’était s’aventurer sur une pente glissante, et la critique le lui a fait bien voir. On lui a reproché ses discours sur l’amour ; on oubliait que l’amour était le sujet de conversation le plus accrédité dans les salons et les ruelles, qu’il faisait le fond presque unique du théâtre, et que Fénelon lui-même en avait décrit, dans Télémaque, le charme tout-