est alors qu’elle entreprit de réunir dans sa maison une élite de savants et de lettrés. « Le mal lui en prit comme une tranchée, » disait l’abbé de la Rivière, gendre de Bussy-Rabutin, jadis fort épris de savoir et de métaphysique, touché sur le tard de vocation religieuse et entré dans les ordres. C’était le propos d’un homme qui ne pouvait pardonner à sa plus ancienne amie de se rattacher au monde, au moment où il s’était résolu à le quitter. Après l’avoir, pendant près de vingt ans, éclairée et assistée de ses conseils, comme il s’en vantait, il devait moins qu’un autre s’y tromper ; Mme de Lambert ne faisait que reprendre possession d’elle-même et revenir à ses goûts : elle était née pour tenir un bureau d’esprit. De tous les salons littéraires et philosophiques qui se succèdent au dix-huitième siècle, se léguant, pour ainsi dire, les questions et les hommes, je ne sais s’il en est un autre qui réponde aussi bien que le sien à la pensée qui l’avait fondé.
C’était, au témoignage de d’Argenson, un grand honneur que d’être reçu aux mardis de Mme de Lambert. Plus d’un l’avait brigué qui n’avait pu l’obtenir ; et, après l’avoir obtenu, on n’osait pas toujours en profiter. Il ne suffisait pas d’apporter, comme à Vaux, à Sully, à Maisons, à Sceaux, le prestige du nom, l’habitude de la cour, le goût du plaisir assaisonné d’un certain esprit d’opposition aux idées régnantes et aux personnages en faveur ; on ne comptait que pour son savoir, ses ressources, ses talents. La duchesse du Maine déclare qu’elle ne se sentit jamais bien à l’aise « à ces imposants et redoutables mardis. » La brillante marquise de Villars n’y paraissait guère que les jours où l’on sortait