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croûte de couleur de boue pour les habiller d’une couche de bleu, ainsi que l’avait arrêté Fleuriot dans son système d’améliorations ; et, profanation indicible aux yeux de Fournisseaux, lorsqu’ils effacèrent les anciennes dénominations des marchandises enfermées comme échantillon dans ces boîtes, pour les remplacer par les désignations prises dans la nouvelle nomenclature chimique. Le bicarbonate de soude le mettait au désespoir : bicarbonate ! le deutoxyde le crispait. Jamais il n’apprendrait ces mots-là, il était trop vieux ; il se respectait trop. Il lui paraissait odieux d’appeler la pierre infernale, nitrate d’argent. Pierre, parce que c’est une pierre, disait-il ; infernale, parce qu’elle brûle ; nitrate d’argent ! les misérables.

Le mauvais vouloir de Fournisseaux devint à la fin trop visible aux yeux de son maître, qui le traita fort mal un certain jour. Fleuriot imagina de donner à Fournisseaux une espèce de livrée obscure, indéterminée ; sans aiguillettes ; un habit-veste à boutons d’or ornés d’un filet. La transition à la livrée complète était adroite ; l’essai fut cependant vivement rejeté par le commis, trop habitué à aller en manches de chemises et à porter dans les grandes occasions un bonnet de papier gris ; c’était pour lui changer de religion ; il refusa. Fleuriot le regarda avec un air qui voulait dire : Vous êtes libre, monsieur Fournisseaux, de vous vêtir comme vous l’entendez ; mais je suis libre aussi de vous renvoyer. Ce regard fut un saumon de plomb sur la poitrine de Fournisseaux. Ce n’est pas ainsi, pensa-t-il, que M. Richomme se conduisait avec moi ; il m’eût battu plutôt, mais il ne m’eût pas regardé. Est-ce que je saurais jamais porter ce bel habit, moi ! cela