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Après l’invasion des maçons eut lieu l’invasion des peintres : portes, volets, corniches, reçurent un vernis élégant et frais ; on imita le marbre et le granit aux soubassements : la maison, de la tête aux pieds, fut magnifique et empestée ; mais que ne souffre-t-on pas pour être beau ? L’amour-propre de Lucette s’enivrait à l’odeur de l’essence comme l’esprit d’un buveur à l’aspect d’une cave de Bercy, remplie de Champagne et de xérès. Dans le travail des embellissements, elle avait été chargée par Fleuriot du choix des papiers à tapisserie. Elle n’acheta chez son marchand que des papiers à sujets, historiques ; elle s’engoua pour la Fête du soleil chez les Incas, l’entrée des Français à Madrid, et l’établissement des braves de l’armée de la Loire au champ d’asile. Grand Dieu ! avait dit Fleuriot en voyant ces papiers ; mais, ma chère amie, ce sont là des papiers de restaurant ; c’est d’un goût suranné, permets-moi de te le dire. Rapporte au marchand ces vieilleries de vingt ans et demande-lui un papier uni, gris tendre, ondulé et jouant le satin. — Un peu blessée de la leçon, Lucette avait corrigé son erreur, tout en regrettant et les Incas avec de si ébouriffantes plumes sur la tête, et le temple du soleil d’un si magique effet entre deux trumeaux. Aux grands applaudissements de Fleuriot, elle fit couvrir les murs d’un papier exquis, si exquis, que Fournisseaux, chaque fois qu’il entrait dans les appartements, ôtait ses souliers, son chapeau, et faisait par mégarde le signe de la croix. Son émotion était celle qu’il éprouvait en entrant dans l’église de Saint-Merri, sa paroisse. Mais son respect devint de la tristesse et presque de la mélancolie, lorsque les peintres enlevèrent aux boîtes du magasin leur