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On n’est pas indifférent à ces souvenirs ; c’est plus fort que soi, Richomme.

— Bonne madame Richomme, dit tout bas Fournisseaux ; voilà un véritable cœur d’agneau ; elle vous regrette, celle-là ! Y a-t-il du bon sens à s’expatrier de sa rue, et de la plus belle rue de Paris, encore ! quand on est si riche ?

— Voyons, ne pleure pas, madame Richomme, je ne suis pas déjà trop brave, moi.

— C’est que c’est bien triste, mon ami, répéta la femme du droguiste, de perdre de vue ce qu’on a toujours eu sous les yeux pendant tant d’années.

— Je n’en disconviens pas, ma femme.

— Quand l’été nous nous mettions sur la porte, toi, en veste de nankin piqué ; moi, en robe de bazin rayé ; nous nous plaisions, tu t’en souviens, monsieur Richomme, à voir le marchand de nouveautés du coin, et tout le monde qui entre chez lui : c’est un petit Palais-Royal. Et madame Javiron, la mercière, qui venait nous dire bonjour ; et M. Nouëtte, le chapelier, ce bon M. Nouëtte que nous ne reverrons plus, qui t’offrait toujours l’étrenne de sa tabatière.

— Et la rue des Lombards, dit tout à coup Fournisseaux en jetant sa tête entre celle de madame Richomme et celle de son mari.

— Et la rue des Lombards ! répéta avec amertume madame Richomme.

— On ne te demande pas ici pour que tu viennes distiller ton mot, répliqua M. Richomme en frottant ses deux mains contre la crinière hérissée de Fournisseaux, moitié