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et d’aptitude. Voyez passer une ronde de ces jeunes filles dans le jardin d’une pension, sur le gazon anglais, et dites quelles sont celles qui descendent des comtesses et qui le seront dans un an, et celles dont les mères vendent des homards au marché des Innocents.

Tant que Lucette était à la pension, elle n’était qu’une jeune fille brune, aux yeux brillants, aux pieds un peu forts, car elle avait à grandir beaucoup ; mais dès qu’elle était chez elle, dès qu’elle respirait l’odeur du café ou du poivre, la métamorphose s’opérait, Venant en aide aux jours de sorties, les vacances de septembre l’achevaient. Pendant les vacances, son père lui faisait copier des factures, avec force agréments de plume, accolades et traits de toutes façons ; sa mère lui fourrait les bras dans des bouts de manches en serge noire ; son père lui disait : Copie-moi cette lettre ! Sa mère lui donnait des sacs de papier à étiqueter ; enfin elle avait presque la valeur d’un commis. Et la chose lui plaisant de plus en plus, elle y mettait toujours un peu plus d’amour-propre ; si bien qu’après huit ans de pension, balancés par seize mois au moins de vacances, elle avait acquis les connaissances variées d’une jeune demoiselle de la Chaussée-d’Antin et pris les goûts de son excellent père, M. Richomme ; goûts qui étaient aussi ceux de Fournisseaux.

— Une fois ton père parti, nous commencerons par faire peindre le magasin en bleu, dit Fleuriot en se levant.

— J’aimerais mieux que ce fût en vert, dit Lucette. Cela tient mieux. Le vert résiste a l’éponge.

— Nous-verrons, ma Lucette ; il est temps de nous retirer. J’ai à revoir, demain de bonne heure, les derniers