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teuil et deux chaises apprenaient qu’une mère s’était placée entre sa fille et un premier commis du quartier, afin d’encourager des aveux honnêtes, et pour en réprimer les trop chaleureux élans ; plus loin. Une longue rangée de chaises adossées exactement à la tapisserie disait hautement qu’à cette place avaient figuré les mères invalides, les belles-mères, les vieilles filles, les grosses demoiselles de comptoir, les antiques teneurs de livres, qui ont des taches dans l’œil à force de tracer des accolades aux profits et pertes ; tous silencieux, impassibles, prisant de quart d’heure en quart d’heure, jusqu’au moment où ils se prennent à rire comme des bienheureux pour s’être rencontrés cinq ou six dans un même éternument. Il y avait eu soirée d’hiver chez M. Richomme, le droguiste qui recevait le mieux à partir du passage du Grand-Cerf jusqu’au passage Saint-Antoine ; le seul droguiste qui s’élevait à la prodigalité du punch. Son père s’était arrêté à l’orgeat. La transition s’était faite par le thé, qui, du reste, est encore un peu demeuré à l’état de médicament dans les rues Sainte-Avoye, d’Anjou et Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. On parle encore de la profusion d’argenterie en circulation aux soirées de M. Richomme. C’est à s’y noyer, disait quelquefois Fournisseaux en emportant dans ses bras des douzaines de timbales, des poignées de cuillers et des monceaux de cafetières. Et cafetières, cuillers, timbales, bols, tout portait sur le manche ou sur la panse ces mots gravés : Richomme, droguiste, au Balai d’or. Aux grandes fêtes, on dansait jusqu’à trois heures ; dans ces nuits solennelles, les aiguilles des pendules étaient enlevées, précautions hiéroglyphiques dont Fournisseaux n’avait jamais osé