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— Fin de mai ! commencement de juin ! tu n’as pas pitié de mon impatience, Fleuriot ; mais tout de suite ! Songe, songe que je soupire après la retraite depuis plus de vingt ans. Et lorsque mon parti est pris, lorsque j’ai liquidé toutes mes affaires jusqu’au dernier centime, lorsque ma maison de droguerie est passée à ton nom, lorsque enfin, mon gendre, j’ai des arbres, une maison de campagne, de l’eau, des fruits, des poules, un bois, tu me dis froidement d’attendre jusqu’au commencement de juin ! Pas de délais : la marchandise est vendue et payée ; livrons-la. Je partirai, s’il vous plaît, mes bons amis, dans huit jours ; je dirai à madame Richomme de préparer ses paquets et d’aller faire ses visites d’adieu au quartier. Ces devoirs remplis, en route, Richomme ! bon voyage aux Petits-Déserts.

J’ai une prière à vous adresser à tous deux, mes enfants, et vous y aurez égard, j’en suis sûr. Fournisseaux est depuis trente-neuf ans dans la maison du Balai d’or. Lorsque j’allai le prendre à l’hospice des orphelins, car ce pauvre Fournisseaux est bâtard, il n’avait que six ans. Ce n’est pas un esprit merveilleux, mais c’est un fidèle serviteur, et ils deviennent de plus en plus rares, un bon cœur d’homme. Traitez-le bien, et quoi qu’il fasse, ne le renvoyez jamais sans m’avertir. Tu dois l’aimer particulièrement, toi, ma Lucette, car, un jour que le feu avait pris aux mansardes où étaient déposées les essences et les huiles, la chambre de ta nourrice, qui était tout auprès, fut envahie par les flammes. Fournisseaux seul eut le courage de monter, de marcher sur l’huile embrasée et de t’emporter dans ses bras avec la nourrice ; ses deux pieds furent