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tions si tu changes, comme tu en as la pensée, notre vieille et noire enseigne : Au Balai d’or.

— Changer l’enseigne ! s’écria d’une voix tremblante et presque indignée Fournisseaux, qui était remonté de la boutique en roulant dans sa bouche un gros morceau de sucre trempé dans du cognac ; vous n’y pensez pas. Mais le Balai d’or est connu dans toute l’Europe et au fin fond de Paris, comme le Mortier d’or, de la rue des Lombards ; la Truie qui file, de la pointe Saint-Eustache ; la Barbe d’or, de la rue de la Ferronnerie. Changer le Balai d’or ! mais nous aurons perdu toute confiance, nous ne vendrons pas pour deux sous d’amadou. Les Russes et les Cosaques, de fiers conquérants pourtant, n’ont pas touché à notre vieille enseigne. Et vous voudriez la changer ! Ce n’est pas moi qui me chargerais de la déclouer ; je me donnerais plutôt des coups de marteau sur les doigts à me les briser.

— Fournisseaux, dit M. Richomme, fais-moi l’amitié d’aller te coucher ; on ne t’a pas demandé ton avis dans la question. Contente-toi de boire mon vieux cognac et de manger mon sucre.

— On y va, monsieur Richomme ; quant au cognac et au sucre, c’est un petit punch que je faisais dans ma bouche, répondit Fournisseaux en grognant comme un dogue qui reçoit un coup de la main d’un maître chéri. On y va. Ce serait beau ! murmura-t-il encore tout en gagnant le haut de l’escalier, de changer l’enseigne.

— Vous avez entendu Fournisseaux, reprit M. Richomme ; eh bien, il n’y a pas un marchand qui ne voie la chose comme lui. On ne saura que penser de cette révolution dans le quartier. Ma fortune s’est faite sous le Balai