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quatre plats de viandes cuites à leur dîner, six cent vingt pieds de pâté, huit cents aunes de saucisses, cinq cents aunes de boudin par tête. N’est-ce pas trop pour un chrétien ?

— Je conviens que c’est trop, mais le carême est si dur, si long.

— Pas si dur. Les cardinaux dévorent en carême toutes les aloses, toutes les truites et les carpes du Rhin, tous les brochets du lac de Constance.

— C’est vrai, affirma-t-on de toutes parts. Ils mangent tous les brochets du lac de Constance, pour nous vendre ensuite les arêtes comme reliques.

Frère Martin ajouta, comme s’il eût parié au véritable légat du pape : — Oui, Dieu vous a-t-il institués les gardiens du troupeau pour égorger les moutons et les faire servir sur vos tables ? Avez-vous un bercail pour le rôtir ? A-t-il choisi ses apôtres parmi des pêcheurs dans l’intention que vous mangeriez un jour tout le poisson de la mer ?

Boccold avait l’air d’être repentant d’avoir mangé tant de saucisses et de boudins ; il se pressait le ventre et il ouvrait démesurément la bouche, comme pour rendre les viandes cuites dont on lui reprochait l’abus.

— Oui repens-toi, vide tes boyaux ; rends donc toutes les carpes que tu as mangées pendant le carême, et les moutons durant les jours gras.

Sans lui accorder la faveur dérisoire de la réplique, on frappait dans le creux du dos de Boccold, comme on ferait à un homme qu’on voudrait délivrer d’une arête.

— Qu’il rende encore, hurlaient les plus exigeants, les beaux châteaux, les superbes palais qu’il a sur le Tibre.