Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bout de leur robe. Le mari s’attache au bras, l’enfant s’épingle à la jupe, le nourrisson se colle au sein.

Et les ouvriers quittaient également leurs ateliers, les marchands leurs boutiques, les pêcheurs leurs bateaux, les écoliers leurs pensions ; on aurait plutôt fait de dire que toute la populace de Wittemberg était là.

Elle était là moins le cortége qui débouchait sur la place ; les croisées du palais de l’Électeur qui donnaient sur cette place étaient garnies d’officiers attachés au prince ; comme tout le monde ; ils auraient désiré connaître le motif de ce rassemblement. Mais qui aurait pu le leur apprendre ?

D’abord faible ruisseau, resserré dans sa pente, encombré de gravier, le cortége eut beaucoup de résistances à vaincre pour ne pas se noyer, pour ne pas disparaître dans cette mer agitée de têtes. Mais l’impérieuse curiosité ayant parlé, et là, comme dans toutes les circonstances, les masses ayant deviné ce qui leur convient le mieux, elles forcèrent le premier rang à se mettre à genoux, le second à s’incliner, le troisième à se courber sur le second : le bâton eût aplati qui n’eût pas consenti à s’agenouiller, il eût fait agenouiller qui n’eût pas voulu se courber ; courber qui eût refusé de s’incliner. Ce n’est que plus tard que le bâton a été remplacé par la police, laquelle ne répudie pas la tradition du bâton. Le bâton s’est fait chair.

Ils n’avaient ni bâtons ni piques, les rares lansquenets qui, avec prud’homie, se hasardèrent du bout de leurs pieds à jeter un coup d’œil, sur la place. — Il y a du gibier en plaine, dirent-ils en se retirant à pas de loups et en cachant leurs habits jaunes, de peur d’épouvanter la nichée. Nous reviendrons ; patience.