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— Ah ça ! seigneur étranger, on n’est pas plus méchant, plus fou, plus impie, que vous en ce moment… Et mon âme, la comptez-vous pour rien ? Croyez-vous que je la risque ainsi à vendre des âmes sans patente ?

— C’est juste, Vénitien, j’oubliais votre âme, votre mise de fonds. Mais nous savons, vous et moi, que les cordonniers sont ordinairement les plus mal chaussés. Après tout, compromettez-la, jouez-la, perdez-la, nul n’a qu’y faire. Votre âme est payée d’avance. Son salut n’est-il pas le courtage des autres ?

— Comment, payée d’avance, maître Parpaillot ?

— Sans doute. Votre légat n’a-t-il pas publiquement prêché l’autre jour que non-seulement les indulgences rachetaient les crimes passés et les crimes présents, , mais encore les crimes à venir ? Or, comme le rachat du crime, aussitôt qu’il est commis ou avant même qu’il soit commis, équivaut logiquement à l’absence du crime, si vous avez pris cette précaution, et vous êtes homme à précaution, vous ne commettez aucun péché en vendant le pardon des âmes sans avoir acquis ce droit. Vous voilà riche sans être damné : c’est rare dans le siècle. N’auriez-vous pas pensé à cela ?

— Je vous arrête.

— Voyons cela.

— Comment voulez-vous que je vende plus d’indulgences que je n’en ai acheté, puisqu’on me les vend, ainsi que vous les voyez-là, toutes faites, imprimées et bénies ?

— Facétieux Vénitien ; la bénédiction ne se voit pas, et il n’est pas très-difficile de contrefaire ce chef-d’œuvre d’impression. Vous ne m’opposez donc déjà plus qu’une