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ne rien entendre à mon raisonnement. Répéterai-je ?

— Inutile, seigneur Vénitien. Mon épaisse intelligence s’ouvre ; profitez de la brèche.

— Sachez donc…

Mais tout à coup le Vénitien s’arrêta dans son explication : une nuée d’étudiants se précipitait au milieu du cabaret.

Car le cabaret de la Belle Saxonne, comme tous les cabarets de cette époque, était fondé à deux fins : il tenait lieu de ces points de réunion que l’oisiveté moderne appelle cafés, et d’hôtellerie pour les voyageurs. Dans ces établissements, la principale pièce, qui a conservé son nom de Poêle, tout en devenant plus décente, était un carré long, autour duquel régnait un banc de chêne, où l’on s’asseyait pour manger comme pour boire, pour boire comme pour dormir. Sous le regard du citadin qui achevait son pot de bière, l’étranger ôtait sans gêne ses chausses. Seulement il importait d’avoir des vertus différentes pour se plier à la multiplicité de destinations affectées au local : un sommeil dur pour reposer au milieu des buveurs hurlants ; un odorat peu difficile, quand on avait le malheur de ne pas dormir.

Les étudiants, demandèrent de quoi boire. Serrés les uns contre les autres, car ils étaient nombreux et paraissaient avoir besoin de se consulter, ils se groupèrent autour d’une table. Des mouches s’abattant sur du miel n’auraient pas été plus pressées. À la distance où ils étaient des premiers occupants, on ne les entendait pas distinctement. Aussi le Vénitien, quoiqu’il eût l’oreille fine, ne saisit que les mots de mêche, de briquets, de feu, de prudence, lambeaux de