Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui fut employé. Aussi bien, peut-être avant demain, ne sera-t-il plus question de Rome, de moines et d’indulgences. L’ennui est une arme si meurtrière.

Auraient-ils été déjà blessés de cette arme d’origine théologique aux derniers sermons des dominicains et des augustins, ces deux hommes assis au fond du cabaret de la Belle Saxonne, et qui, les coudes sur la table, talons contre talons, face à face, le menton étançonné au bout des bras, boivent de la bière à pleins verres ?

L’individualité de ces deux buveurs est lisiblement écrite sur leurs visages. Le premier, dont l’âge passe quarante ans, aux cheveux blonds cendrés et qui doivent avoir été rouges autrefois, paraît de constitution maladive. À sa maigreur, à sa taille haute et rentrée, on distingue l’homme épuisé et qui n’a rien fait pour neutraliser les funestes effets d’une santé précaire. Des rides précoces décèlent à son front, aux angles de sa bouche, fine et dessinée au blaireau, le travail opiniâtre et si mortel de la méditation ; le reflet doré de la lampe enlumine ses joues. Son œil est celui du renard : clair, gris et défiant, signe caractéristique, presque infaillible, de la ruse combinée avec la peur, de la subtilité et de l’esprit. L’organisation nerveuse se trahit en lui par des tics, des convulsions à la surface, par des grimaces soudaines, par la douceur soyeuse de ses cheveux, la rareté de sa barbe, la saillie féminine de ses hanches, par la maigreur et la crispation de ses mains. Enfin, c’est un de ces hommes que la nature a créés pour être la victime de l’électricité pendant l’orage, d’un grincement d’acier, d’un cri aigu, qui s’évanouissent à l’odeur d’une rose, qui nourrissent des antipathies innées, et à