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pesante d’un siècle et une année insaisissable d’une minute. Vous souffririez goutte à goutte, sans relâche. Le temps c’est l’activité de la pensée ; la même pensée, car vous n’en auriez qu’une, hachée, pulvérisée par le cœur, meule qui se broie elle-même quand elle n’a plus rien à broyer, vous envahirait tout entière de son inexpugnable obsession ; cette pensée cancéreuse vous dévorerait. Après elle, ce serait encore elle, toujours elle ; vous compteriez plutôt un à un les grains de sable du désert, que vous n’en seriez quitte avec cette infinité d’atomes sur chacun desquels vous liriez sans fin le mot imperceptible et corrosif : mort ! mort ! mort ! Et pourtant cette même année d’un siècle ne sera qu’une minute, je vous l’ai dit, Hanna, parce que jamais votre fille n’aura, illuminé vos regards par plus de charmes. Elle grandira entre vos doigts ; — vous le verrez, — tout comme ses sœurs à cette sinistre période ; — ses cheveux d’or ne seront jamais descendus plus abondants sur ses épaules, — tout comme ses sœurs ; son intelligence, étoile mourante, radieuse à son déclin, ne vous aura jamais plus étonnée, — tout comme ses sœurs. Puis le siècle de la souffrance et le jour d’ivresse auront une même fin. Vous resterez avec un cadavre, — tout comme ses sœurs ! Hanna ! Hanna !

— Vous m’épouvantez, milord, plus que vous ne me persuadez. Moi, sa mère, je l’abandonnerai ! elle m’appellera et je ne répondrai pas ! Mais pour qui vivra-t-elle ? qui l’aimera ? qui en aura soin ? qui m’aimera ?

— Vos soins l’empêcheront-ils de mourir ? n’aimez-vous pas mieux pleurer sur une séparation que de pleurer sur une mort ? Est-ce que vous ne vous donnez pas un