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seriez tenu de partager votre pain blanc et ducal avec lui ; savez-vous cela ?

— Je sais, interrompit Ulrich, puisqu’il en est ainsi, que si, à mon tour, je tombais, il me relèverait ; que, si j’avais faim, il me donnerait la moitié de son pain noir ; que, s’il me défendait, j’aurais à le défendre.

La main d’Ulrich descendit encore plus bas ; elle s’arrêta à son épée dont il pressa la poignée.

— La pensée, le coeur, l’épée, Ulrich !

Le moine posa sa main sur la Bible ; c’était là une protestation contre la véhémence d’Ulrich, ou un pacte spontané de la parole avec le fer.

Puis il pressa avec effusion et respect le jeune homme contre son coeur. Pendant quelques minutes ils échangèrent des paroles d’affection et de dévouement ; ils promirent de se revoir, de s’éclairer, de se protéger, de s’unir.

Ulrich sortit et traversa la cour.

Il fut obligé de se ranger pour laisser passer le corps du père Staupitz, qu’on portait au cimetière du couvent.

Le moine regarda le convoi. En fermant sa croisée, il répéta malgré lui le mot si malin et si profond d’Érasme : À quoi sert un moine ? Pas même à faire un moine.


VI.

Il n’est pas absolument nécessaire de rétrograder de trois siècles en imagination, pour avoir l’idée exacte d’un petit événement dans une petite ville. Ceux qui de nos jours ont le malheur de vivre, si vivre est le mot, dans une