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je brûle ; et, mystère impénétrable, des bouffées de rire me surprennent et renversent en passant tout l’édifice superbe de ma colère. Par ces temps-ci ordinairement je suis exposé à ces crises. Tenez, Ulrich, il doit neiger ; je le sens.

Le moine, entr’ouvrit la croisée ; un rideau de neige flottait mollement dans l’air. Les petites lumières des ateliers étaient éteintes. — Mais voici ce qui console.

Le docteur, ayant accordé son luth, en tira des notes naïves, harmonieuses comme des paroles accentuées.

— Dites-moi, Ulrich, quelques aventures de votre voyage à travers notre bonne Allemagne. La jeunesse dit bien. Parlons de notre mère commune, aujourd’hui si souffrante ; entretenons-nous d’elle comme deux fils. Reclus et pauvre, à ses pieds, je ne sais que ses vertus ; vous, jeune, chaud, noble et brave, parlez-moi de sa gloire.

Le beau visage rose d’Ulrich s’épanouit, son regard brilla.

— Parlons plutôt de sa pauvreté, répondit-il. Et, à voix basse et d’un accent au-dessous du luth, il murmura comme une confidence ce qu’il avait vu dans la forêt Noire, l’incendie et les femmes qui fuyaient. Il ressemblait au jeune Daniel retraçant la fin de Babylone.

À mesure qu’il racontait, les sons de l’instrument le suivaient en échos plaintifs, et la parole, pénétrante du jeune homme et la note du solitaire allaient ensemble et semblaient être faites l’une pour l’autre comme le vent pour le cyprès.

Emporté hors de lui, le jeune seigneur se leva et posa la main sur son front tout en feu.

— Oui, la pensée, Ulrich, dit le moine ému, la pensée