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à votre tour de m’excuser. J’oublie que votre noble père est leur seigneur et maître.

— Parlez toujours, docteur. Votre parole m’attache. Combien elle m’a confirmé de vérités depuis le jour où vous avez prêché devant notre clément électeur, Frédéric !

— Ah ! vous étiez donc à mon sermon. J’ai été trop loin. J’entends dire qu’on me blâme. Il n’est pas si facile d’arrêter l’eau quand l’écluse est ouverte. On m’appelle, j’y vais. Je n’avais qu’un texte, je m’en sers. Rome, sujet fécond, les indulgences, matière infinie, sont en question : me voilà lancé. Nous autres moines, nous sommes de grands parleurs. Mais ceci sera oublié dans quelques jours, si ce n’est déjà oublié.

— Vous avez eu plus de retentissement que vous ne pensez, mon père, reprit Ulrich, surpris, désenchanté de la familiarité causeuse de celui qu’il s’était figuré toujours monté au ton de l’inspiration. Il s’approcha du moine, dont la figure était complétement dans l’ombre, pour s’assurer que c’était bien lui qu’il avait entendu à quelques jours de là. Il eut un doute.

— Vous êtes dans l’erreur, je crois, mon jeune seigneur, à cet égard. Beaucoup d’abus existent qui ne sont pas consumés par ces feux de paille allumés à leurs pieds. Le monde a une force de résistance inimaginable. Cette force est quelquefois injuste, mauvaise, mais on s’y appuie. Ce couvent est vieux ; en passant vous avez vu ses murs ouverts, son clocher qui penche ; des carrières infinies ont décharné ses fondations, écarté les pierres, ébranlé sa solidité ; eh bien ! ce qui l’a ruiné, c’est ce qui le soutient. Par l’action du temps, ces racines ont fait ciment avec les pierres. Ôtez