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de ce caveau sans air, de cette prison sans jour, ils défilèrent, famille par famille, devant Boccold.

À mesure que les mineurs passaient devant Boccold, ils retiraient leurs souliers, — qu’ils avaient chaussés pour cette cérémonie, — et lui en donnaient la semelle à baiser en prononçant ces paroles :

Le pauvre homme ne peut plus être guéri dans ce monde[1].

Cette formule mystique ayant frappé l’attention d’Ulrich, il se rappela l’avoir entendu prononcer dans la forêt Noire par les paysans que l’incendie avait chassés de leur ville.

Le baiser du soulier acheva de le convaincre de l’exacte ressemblance des deux symboles.

Les pères élevaient leurs petits enfants dans leurs bras, et ceux-ci tendaient également à Boccold leurs petits souliers à baiser, épelant : Le pauvre homme ne peut plus être guéri dans ce monde.

Il ne resta plus aucun doute dans l’esprit du fils du graf ; seulement il ne savait pas davantage ce que signifiaient ces paroles et ce signe grossier, reproduits à quatre cents lieues de distance par des paysans et par des mineurs, sans communication entre eux.

Descendu tout à coup de son fauteuil de pierre, Boccold alla droit à Ulrich, et, fraternellement, sans précaution, il lui appliqua la semelle de son soulier sur la bouche. Ulrich fut frappé d’étonnement, les mineurs étaient surpris de la témérité de Boccold. Ceux qui comprenaient le sens de ce mystère s’attendaient à voir Ulrich passer son

  1. Der arm mann in der welt mag nicht mehr genesen.