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rité au milieu d’eux, se rapprochèrent du groupe formé par lui, Marguerite Lindermann et son mari ; et les uns rampant à ses pieds, les autres pliés sur leurs genoux noirs et calleux ; ceux-ci, retenant leur souffle au dessus de ses épaules, de peur de salir ses cheveux blonds ; ceux-là le regardant de bas en haut, et en biaisant leurs corps, comme les démons doivent regarder un ange, semblaient former une cour sauvage et surnaturelle à quelque création intermédiaire. On eût cru qu’il racontait, voyageur céleste, les merveilles du monde qu’il avait quitté, et où il n’avait laissé que ses ailes et la flamme de son front. Distrait dans sa conversation avec le mineur qui avait plus particulièrement captivé son attention, il ne remarqua que lorsqu’il en fut cerné ces têtes blanches saupoudrées de charbon, ces corps courbés et à demi tordus par le feu, comme du vieux fer, ces barbes d’amiante. Sa première émotion fut la peur, la peur qu’aurait un enfant à se trouver pour la première fois au milieu d’une troupe de nègres ; car, dans ces temps de vagues superstitions, au fond de cette Allemagne de forêts et de cavernes, les mineurs et les charbonniers avaient le privilége de fournir, des sujets de terreur aux veillées des châteaux, aux nourrices et aux enfants. Le second sentiment du jeune seigneur fut la pitié. Il se laissa regarder et envelopper par ces noirs habitants des mines, heureux de contempler un être qui portait sur ses traits comme un reflet pur du jour dont ils avaient perdu le souvenir, et dans son haleine la suavité d’un air chargé des parfums de la terre. Ulrich était le sachet odorant qui évoque pour les sens le fantôme de la patrie. L’âme se laisse mener par des parfums et des rayons ; et la patrie a