Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Que ne puis-je vous accorder tout cela, mes amis ! Mon pouvoir ne s’étend qu’à la faculté de délivrer un de vous. Le sort en a-t-il décidé ?

— Pas encore.

— Eh bien ! allez, et consultez-vous ; vous viendrez m’apprendre ensuite le choix que vous aurez fait. Qu’il tombe, s’il se peut, sur le plus digne ; que les forts, les plus éprouvés, laissent passer devant eux les souffrants, les femmes, les vieillards. Ils ont moins à vivre, qu’ils vivent mieux.

— Brave et noble Ulrich, nous serons toujours tes fidèles serfs, nous irons te chercher l’argent dans les entrailles les plus sourdes de la terre, nous te rendrons plus riche qu’un roi.

Et les mineurs vidèrent la salle, heureux, depuis le commencement de la cérémonie, que Gottfried fût absent. En partant ils ne laissèrent autour de l’énorme brasier, qui renvoyait ses rouges reflets sur les parois, que les vieillards et leurs femmes, les uns et les autres très-indifférents sur ce qui allait se passer. Depuis trente ans, plus ou moins, qu’ils vivaient dans cet abîme, ils avaient pris en habitude ces espaces sans air, ces voûtes sans lumière. Puis, tout étant relatif, un flambeau de plus dans leurs cavernes équivalait, au soleil. Le véritable soleil, ils l’avaient oublié, comme les fleurs, le gazon, comme les arbres et les fontaines. Ils se peignaient ce qui se passait sur leurs têtes, à peu près comme les nations décrépites et sans imagination se figurent l’état primitif du monde d’après les genèses. Véritable mythologie pour eux que les mers, les fleuves, les tempêtes, les beaux jours, les saisons, les années, les