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cassé cette tête d’enfant comme une noix entre ses pouces. Il se prêta stupidement à la plaisanterie, étonné de changer de rôle, de siffleur d’oiseaux d’être oiseau. Ses poings seuls et ses yeux humides n’avaient point oublié la commission de sa femme.

Ulrich ouvrit doigt à doigt la tenaille que Pfeiffer appelait comme tout le monde sa main, et y glissa une pièce d’argent. C’était un métal qui en touchait un autre ; Claus ne sentit rien. Quand il l’eut assez bafoué, Johann le poussa brutalement ; la portière se balança longtemps après le passage du géant.

Eberstein avait remarqué l’action de générosité d’Ulrich, et dans une série de méditations, qui l’avaient empêché de voir et de blâmer sans doute la scène dont Johann avait rendu Pfeiffer la victime, il rattachait cette action à la conduite déjà fort inexplicable de son plus jeune fils. Cet enfant ne ressemblait à aucun autre. Quelle influence subissait-il ?

Au bout de quelques minutes, le graf se retourna vers Ulrich :

— Vous croyez sans doute que je ferais le bonheur de ce serf si je lui accordais l’enfant dont il réclame la possession à titre de père, et que je lui refuse, moi, à titre de seigneur. Mais ma souveraineté, que je conserve pour mon prince, serait perdue si je ne retenais que de leur propre volonté tous ces enfants nés dans mes propriétés et qui demain seront des hommes. Ils relèvent de moi : est-ce que je ne réponds pas de leur existence ? S’ils sont à moi, je suis à eux. Cinq enfants écraseraient ce serf qui ne consulte que son amour lorsqu’il les voudrait tous. Son cœur