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ce droit, mais l’aurais-je, que je n’en userais pas contre vous.

La noble figure du graf était diversement affectée. Le maître cherchait à ne pas paraître dur, le père à ne pas se montrer faible.

— Vous ne luttez pas, Ulrich, contre le caprice tyrannique d’un père, songez-y bien, mais contre d’immuables lois, ciment des familles, contre des usages conservateurs vieux comme notre Allemagne impénétrable et dure, — contre ce qui est notre force.

— Vous vous trompez, reprit respectueusement Ulrich, je ne lutte pas, je me soumets. Né le second dans ma famille, ma famille ne me doit rien ; je m’en retire.

— Que pourrait-elle pour vous ? Si je partage, dit sans emphase mais avec dignité le graf Eberstein, mes propriétés en deux, mon écusson en deux, mon nom en deux, et que plus tard vos enfants et ceux de votre frère, par le même privilége, divisent de nouveau ces épaisses forêts, ce bel écu, ce grand nom ; dans moins d’un demi-siècle, si les familles de l’Allemagne suivent notre exemple, il ne restera pas un seul représentant fort de la terre conquise par nous, pas un bras pour la protéger ; mais vous serez tous, au contraire, faibles par le grand nombre, misérables comme des vassaux ; vous serez tant, que vous ne serez plus.

— Ce n’est point là ce que je souhaite, mon père. Gardez votre héritage pur et intact comme vous, l’avez reçu. Je compte assez, j’ose vous le répéter, sur mon épée pour me faire une place dans le monde.

— Oui, allez mettre votre épée au service des rois, et