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Ce n’était point de l’ironie comme Johann, mais de la pitié. En pareil cas, la pitié d’un père est pour le fils un soufflet, moins le coup. L’outrage y est, la rougeur aussi.

— Voudriez-vous bien m’apprendre alors quelle profession vous avez choisie, afin que, moi étant mort, vous ne soyez point obligé, pour vivre, d’aller sur quelque marche de la Saxe, armé d’un bâton ferré, détrousser les passants ? Compteriez-vous sur votre frère Johann ?

Ulrich exprima par un froncement de lèvres un sentiment de négation bien formel.

Johann n’eut pas l’air de se fâcher du peu de cas qu’on faisait de sa générosité.

— Vous mort, mon père, je prierai Dieu pour que votre ombre me protége, et je sortirai de cette maison ; plus tôt, si vous l’exigez ; maintenant si mon seigneur l’ordonne.

Le jeune fils du graf s’était levé.

— Où iriez-vous ? La terre n’a que des montagnes où des hommes libres commandent, et des vallées où rampent les serfs. Êtes-vous de la montagne ou de la vallée ?

— Il y a encore des mers. J’irai dans nos hanses teutoniques…

— Pour y faire le commerce, n’est-ce pas ? y vendre votre noblesse au poids des fanons de baleine et des cuirs de Hollande.

— Non pour y faire le commerce, mais afin de trouver un passage pour le Nouveau-Monde, à travers ces mers qui n’ont pas rouillé les éperons d’or de Cortez.

— Il fut un temps, Ulrich, où j’aurais eu le droit de vous enfermer dans un cloîtré et de vous forcer à y attendre que la grâce vous visitât. Non-seulement je n’ai plus