Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Car, (et la voix du moine fut prophétique après avoir été tour à tour étouffée, sombre, traînante, triste, peureuse, hardie et triviale), car si l’on n’avait pas égard à cette distinction qu’il faut bien établir entre la pensée et le bras obscur qui l’exécute, entre l’instrument parfait en lui-même et l’ouvrier maladroit qui s’en sert, on oserait vous dire : Il y a un homme qui, pour de l’argent, pour de l’or, vend au premier venu des indulgences qui rachètent des crimes aussi noirs que ceux que j’ai déroulés, et vous seriez étonnés. On ajouterait, toujours par la même erreur, qu’avec l’or de ces rémissions sacriléges cet homme ne fait pas la guerre aux Turcs ni aux Moscovites, et vous vous demanderiez avec effroi ce qu’il en fait. Tout à coup, si la même voix, qui vous instruit si bien, vous déclarait qu’avec cet or on paie des poëtes langoureux qui chantent Platon et Ovide ; qu’on paie des peintres qui représentent des nudités païennes ; qu’on paie des courtisanes qui reçoivent chez elles tous ces peintres, tous ces poëtes ; tous ces païens ; si elle vous déclarait encore qu’avec cet or on bâtit en ce moment un temple orgueilleux à la religion, plus superbe cent fois que le Panthéon, car il portera le Panthéon en croupe ; que ce temple, Babel moderne, sera dans des proportions aussi effrayantes que sa sœur aînée et maudite ; que chaque pierre de marbre où de granit sera le rachat d’un sacrilége, d’un péché mortel ; que le fratricide en aura payé la voûte, l’homicide les marches, le parricide les portiques, et peut-être quelque roi coupable de l’assassinat de son peuple, la croix d’or qui terminera ce monument ; alors vous vous écrieriez comme l’aveugle de l’évangile : Où est cet homme ?