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de l’univers. Des marchands de safran d’Aquilée traitaient avec des vendeurs d’ambre de l’ordre teutonique. Des blonds Suédois échangeaient des tonneaux d’œufs de poissons contre des tissus de l’Orient, et sous des échoppes de planches étaient empilées les toiles d’Augsbourg. Bruges étalait plus loin ses belles armures. Mais l’honneur de cette foire, c’étaient des milliers de boutiques pleines de cartes à jouer et de joujoux de bois, industrie nourricière du duché de Nuremberg. Une odeur de forêt s’échappait de ces meubles de bois, qui étaient encore chênes et sapins, il n’y avait pas un an. La forêt Noire était convertie en fourchettes. Sauvages dans leurs huttes, ces bûcherons devenaient, par le frottement du commerce, graduellement des hommes. Par leurs poupées, ils préludaient à une demi-civilisation.

Pandolfi entra chez un marchand de pelleteries du nom de Tobias Schwarzfuchs, ce qu’apprenait surabondamment son enseigne, où l’on voyait un renard noir.

Tobias Schwarzfuchs s’empressa d’offrir au cardinal ses plus somptueuses fourrures, depuis la peau du lion d’Éthiopie jusqu’à celle du rat.

— Choisissez, dit-il.

Ayant désigné une fourrure, le cardinal en demanda le prix au marchand. Ce prix fut trouvé exorbitant par Pandolfi, qui s’écria : — Tu nous surfais, marchand ! Tu vas me la donner pour le quart.

— Vous ne l’aurez pas pour le quart, monseigneur.

— Je te ferai pendre.

— Je suis bourgeois anséatique ; on ne nous pend plus sans nous juger.