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d’un cheval ; ceux-là s’assirent au bord des fossés et regardèrent. Les indifférents passèrent dédaigneusement la tête à la portière de leurs carrosses. Pandolfi risqua un œil pour voir, tandis que l’autre sommeillait encore. Un cavalier, qui ne semblait pas appartenir à la caravane, était isolé sur un tertre. À cheval, près de lui, deux domestiques étaient attentifs à ses ordres, et tous deux, tantôt ensemble, tantôt séparément, couraient au galop vers la ville en flammes, et en revenaient. Ce cavalier était immobile. L’air clair et pur du matin bordait les contours de ses épaules d’un filet rose, et permettait de distinguer la couleur de son manteau, qui était brun.

Enfin les habitants descendirent en poussant des gémissements affreux ; ils étaient au moins deux mille.

Arrivés au pied de la butte qu’occupait le cavalier, ils se séparèrent en deux bandes. Au-dessus de leurs têtes, ce cavalier et ses deux écuyers laissèrent tomber des pièces d’argent.

Et quand ils furent au bord de la route, on vit qu’ils avaient à peine des vêtements pour se couvrir, par la rude saison où l’on entrait ; ils faisaient pitié, les enfants par leurs petits visages maigres, leurs mères et leurs sœurs par la tristesse sauvage de leurs fronts ridés avant le temps, les pères par leurs barbes blanches sans vieillesse. C’était un exil. Combien devaient souffrir ces pauvres gens en voyant anéantir leur dernier asile, le chaume sous lequel ils étaient nés ! Ce qu’ils souffraient, ils l’exprimaient dans l’espèce d’adieu mélancolique, moitié chant, moitié plainte, qui leur échappait.

En passant, les paysans s’arrêtèrent pour baiser les