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lancée par la corde frémissante du Rhin, la cathédrale de Strasbourg.

Plus d’Italie désormais, plus d’orangers en pleine terre, plus de vignes qui festonnent les arbres comme une dentelle de verdure, plus d’églises peintes au dehors, mais des chênes et des cathédrales sombres sous des chênes ; plus de vie à l’abandon, mais des paroles dures et sèches de marchands. L’orange n’est plus un fruit ici, c’est une marchandise ; elle monte ou descend le fleuve dans des caisses timbrées du chiffre de l’archevêque de Spire ; le parfum, exilé de la patrie des fleurs, de Florence et de Naples, vogue vers les bains de Bade dans des vases qui ont couru tous les marchés anséatiques et passé sous le nez des bourgeois de la Vistule. Et partout des droits à payer : à la ville qui ouvre ses vieilles portes ferrées, à l’abbé qui soulève son écluse, au seigneur de la marche qui vous attend au carrefour ; droit au comte qui n’abaisse son pont-levis qu’à condition de péage ; et ce droit c’est de l’argent ou une soumission ; c’est tantôt la résidence forcée d’un jour, tantôt le passage prompt d’une heure. Est-ce là l’Italie ouverte à tous comme son ciel, l’Italie facile, hospitalière, et qui n’a rien à elle, qui se laisse entourer par la taille comme une belle fille pauvre ? Cette ville vous plaît, restez-y ; ce fruit vous attire, cueillez-le ; sa religion vous charme, prenez-la. Combien ? Rien. Dites-lui seulement qu’elle est la première entre toutes les nations du monde, que toutes les autres sont barbares.

Un peu avant Spire, la croisade clôt sa navigation rhénane et prend terre en pays d’Allemagne ; elle se tourne vers l’est, comptant déjà deux mois de voyage depuis Rome.