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électeur. Il payait cent quatre-vingt-dix-neuf francs, ni plus ni moins. Il revint sur ses calculs, les vérifia, les recommença de nouveau ; toujours ce franc ne se trouvait pas, faisait défaut, restait en arrière. C’est qu’il ne payait pas ce franc sans lequel il ne pouvait être électeur ! Pour un franc ! Pauvre Marc ! posséder toutes les connaissances humaines, les avoir agrandies, pouvoir les élargir encore et demeurer dans la fatale impossibilité d’être électeur comme son ancien ami Marcelin, lui qui ne l’était devenu qu’en lui dérobant les fruits de son intelligence ! Il serait rentré de nouveau en prison s’il n’eût payé son amende de trois mille francs. Cette funeste diminution qu’il fut bien forcé d’infliger à ses biens, non-seulement l’empêcha encore plus qu’auparavant d’aspirer à la jouissance de ses droits électoraux, mais elle lui interdit le moyen qu’on lui avait conseillé d’abord : celui d’emprunter une somme avec laquelle il eût acheté le fragment de propriété qui lui eût servi à augmenter sa cote électorale. Il emprunta, mais ce fut pour payer son amende. Or, ses biens se trouvèrent, hypothéqués, et, sans pouvoir trouver à emprunter davantage pour devenir plus grand propriétaire, il resta dans le même état, c’est-à-dire électeur à un franc près. Ce franc fut sa muraille de la Chine.

Il n’y avait pas de murailles pour Marcelin. Tout était plaine et plaine fertile. Électeur, juré, capitaine de la garde nationale, il fut créé fournisseur pour toutes les fêtes publiques. On le nomma en outre chevalier de la Légion-d’Honneur.

Les deux anciens amis se virent un jour face à face à l’occasion d’un délit de garde nationale. Celui qui l’avait