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prendra, je le veux, un rang dans le monde. Demain je lui achèterai une maison. Il faut faire riches ceux qu’on veut rendre meilleurs.

Ervasy prit une plume et répondit en ces termes au billet de Reine :

« Chère petite Reine.

« Demain à midi, je serai chez toi. Si cela ne te contrarie pas, nous irons dans une voiture à nous jusqu’à Montmorency. On va plus vite et on revient quand on veut. Je te ménage une surprise qui te sera agréable, je l’espère, mais ne va pas te fâcher à ce sujet et m’appeler encore millionnaire. »

La réponse fut renvoyée à Reine par le même commissionnaire, et Ervasy, la nuit étant venue, fit allumer les flambeaux de son cabinet. Comme une première fois, il avait modulé son bonheur sur la flûte, il imagina d’appliquer sa joie à un autre ordre d’exercice : il ouvrit sa riche bibliothèque : il prit un livre. Ce ne pouvait être que la Nouvelle Héloïse de J. J. Rousseau. Il existe toujours quelques livres, et celui-là est du nombre, qui dispensent de louer les autres livres et surtout de les lire. Peu liseurs de leur naturel, les banquiers aiment à savoir d’avance les ouvrages où ils seront sûrs de s’attendrir.

Il eut dans son sommeil des rêves enchantés, féeriques, moitié banquiers, moitié voluptueux ; des amours ailés jouaient nu-pieds sur des bordereaux, et des millions de pièces d’or reproduisaient les traits de Reine Linon, illusion probablement née en lui du souvenir de la folie de ce banquier italien qui fit frapper une monnaie à l’effigie