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— Rien n’est perdu, pas même l’honneur.

Ervasy n’eut plus qu’une idée en sortant de la maison de Reine Linon : celle de se tuer. Elle le trompait, elle avait un autre amant qu’elle lui préférait, un amant plus jeune, pauvre comme elle, et qu’elle pouvait mener où bon lui semblait, depuis l’Opéra jusqu’à la Chaumière, sans que cet amant fût toujours préoccupé de la crainte d’être vu. Le suicide lui vint à l’esprit, comme il vint à la pensée du peintre Gros et à celle de bien des personnes qu’on croirait à l’abri de cette résolution désespérée. Ce ne sont pas les grandes causes qui engendrent le suicide. Chez les hommes puissants par leur nom ou par leur richesse, ce sont presque toujours de petites inquiétudes, de petites taquineries du sort, des piqûres faites à l’amour-propre. Napoléon ne s’est pas suicidé à Sainte-Hélène ; il se serait peut-être asphyxié sur le trône s’il eût continué à régner. On se tue fort bien pour une blanchisseuse ; on se tue pour infiniment moins : pour une pièce rejetée ou pour un tableau refusé au salon, Ervasy balançait entre les divers moyens de sortir de la vie, songeant combien on est peu empêché dans l’exécution de ce projet par l’attrait d’immenses richesses et par le lien des honneurs, lorsqu’on frappa à la porte de son cabinet. Il repoussa promptement ses pistolets dans le tiroir et alla ouvrir : c’était Dauphin, le chasseur, qui venait lui porter une lettre, remise à l’instant même par un commissionnaire. On attendait la réponse.

— C’est bien, dit-il à Dauphin : — Madame est-elle rentrée ?

— Pas encore, monsieur.