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cher. Autant vaudrait se rendre au spectacle en bonnet de nuit que d’y aller en fiacre. Il fait un temps doux, le pavé est sec, gagnons les boulevards, et rendons-nous à pied jusqu’à la Porte-Saint-Martin. Un fiacre !

— Tous les boulevards à pied ! se dit Ervasy, qui foulait déjà triomphalement la place Vendôme, sa grisette sous le bras.

Il obéit. Mais son sang pétillait dans ses veines. Il n’osait regarder ni à droite, ni à gauche, ni en face. Si M. le comte me voyait ! si M. le marquis m’apercevait ! si mes commis me rencontraient ! Et chaque nez qu’il entrevoyait en soulevant un peu la paupière lui semblait un nez connu. C’est lui ! c’est bien lui ! ah ! oui, c’est lui, pensait-il. Ma femme !!! fut-il sur le point de crier au coin du faubourg Poissonnière. Ce n’était pas elle. On voit partout sa femme quand on a une maîtresse sous le bras. C’est la tête de mort que les Égyptiens faisaient passer au dessert.

Son martyre eut un terme. Ils arrivèrent à la Porte-Saint-Martin. Ervasy courut aussitôt s’enfermer avec Reine dans une loge de seconde galerie, et tout fut oublié : Les plaisirs champêtres ont leur prix, quoique l’herbe tendre soit un affreux divan, et qu’à la campagne le soleil y soit toujours trop chaud et l’ombre trop froide. Mais les portes bien fermées, les tapis bien épais, les cheminées chaudes, les lampes paisibles, les doubles rideaux ne sont pas ennemis des tendres tête-à-tête. La femme sur l’herbe est une fleur, a dit un poëte arabe, la femme dans un fauteuil est une reine, mais la femme assise sur un tapis est une femme.

Au nombre de ces jouissances civilisées, un peu trop