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préoccupation qu’un plaisir. Qu’elle eût été ou qu’elle n’eût pas été sage jusqu’à l’heure où nous écrivons cette partie de son histoire, circonstance indifférente à signaler ici, elle ne s’abandonna pas, comme une esclave de Géorgie, à la volonté du maître. Vertu ou calcul, elle tint à distance tant qu’elle put ou tant qu’elle voulut celui dont elle avait éveillé l’amour. La scène de nuit où Ervasy figure prouverait le peu de chemin qu’il avait fait depuis l’origine de sa tendre intimité avec la grisette. Comme il l’aimait beaucoup, comme il l’adorait, comme il en était fou, il souffrait des mille bizarreries d’une affection dont il ne se croyait pas sûr. Un jour il espérait, le lendemain il renonçait à être aimé ; le matin, il sortait joyeux et rajeuni de la maison de la blanchisseuse ; le soir, en coudoyant les murs, il rentrait à son hôtel rongé d’inquiétudes. Ainsi, l’on s’explique comment sa femme ne s’était pas encore aperçue du salutaire ascendant de la grisette.

Il était six heures du soir quand le banquier entra chez elle ce jour-là, le jour, si l’on tient à un certain ordre chronologique, où Dauphin, son chasseur, avait dû se mettre en rapport avec le prince.

Reine était parée et prête à sortir. Un petit chapeau de paille, ainsi qu’on les portait alors, prenait sa jolie tête et se terminait à son menton par un gros nœud de ruban rouge liseré de bleu. Rien sur la passe, ce qu’une jeune femme peut y placer de mieux ; et dessous, des cheveux doux et bouclés, inquiétant ses yeux, son menton rose, ses joues, comme un buisson raille une fleur d’amandier tombée dans ses épines. Sa robe était soie et coton ; pour une grisette ; c’est de la soie pure. Elle aimait par-dessus