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au chasseur de s’approcher d’elle ; ce qu’il fit avec une grande promptitude.

— Ne pensez-vous pas, mon ami, que les moustaches de Dauphin sont mal dessinées. Je voudrais qu’on vît un peu plus vos joués, Dauphin, que les deux crochets descendissent jusqu’au menton qu’on doit soupçonner seulement. Je vais vous tracer cela. Donnez-moi cette plume, Ervasy.

Sans se déranger de sa lecture, Ervasy passa la plume à sa femme qui, appuyant une main sur l’épaule du chasseur, tout à fait ébahi de la licence, dessina de l’autre sur ses joues, avec une délicate précision, la forme à donner aux moustaches et aux favoris. L’opération fut assez longue pour qu’Ervasy eût pu la remarquer ; il ne s’en aperçût qu’à la fin, et ce fut pour dire à sa femme, lorsque le chasseur eut quitté le salon :

— Vous avez bien tourmenté aujourd’hui ce pauvre Dauphin ; que lui avez-vous donc fait ?

Ervasy n’attendit pas la réponse : il était rentré dans son appartement.

Ce n’est pas du premier coup qu’on réussit, pensa-t-elle. Ervasy ne sera pas toujours distrait.

On jouait ce soir-là, à l’Opéra, le Diable boiteux, délicieux ballet, amusant, spirituel, comme une nouvelle, heureux, comme tout ce qui naît d’une idée heureuse. Il y a des types primordiaux d’une inépuisable fécondité, mines d’or de la littérature. Don Juan est de ce nombre aussi bien que le Diable boiteux. Après avoir été une charmante tradition italienne ou espagnole, peu importe, Don Juan a été une belle comédie française ; il est devenu ensuite un magnifique opéra sur le piano de Mozart ; enfin un poëme