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peu monotone. Une fille naquit au lord, qui tout à coup trouva dans sa position de père des motifs inespérés pour s’attacher plus étroitement à sa femme, — à celle qui lui méritait ce beau titre. Ce n’est pas que jusque-là il ne l’eût aimée dans toute l’étendue de ses devoirs, mais son affection avait été plutôt la tâche acquittée d’une obligation, que le dévouement naturel d’une sympathie. À la naissance de sa fille, sa circonspection disparut ; la tendresse remplaça les égards ; elle anima ses moindres soins ; sa femme que dans sa délicatesse, même au milieu de sa retenue d’autrefois, il regardait comme sa supérieure, descendit, si cela s’appelle descendre, au beau rôle de sa compagne, de son amie, de sa plus intime confidente. Une enfant avait amené cette égalité aimante. Ce que le roi d’Angleterre, qui crée des ducs et des duchés, des barons et des baronnies, n’aurait pu faire, une petite fille l’avait obtenu. Son berceau fut le foyer où se concentrèrent les rayonnantes sollicitudes de deux maisons. Penchés sur le visage de leur fille, lord Brady et sa femme se sentirent sans doute entraînés, attirés l’un vers l’autre par cette ressemblance où le père met sa force et la mère sa grâce, afin qu’ils s’aiment tous deux dans leur image aimée. Nelly fut le Messie du château où elle descendit comme la colombe de l’arche avec la verte branche d’olivier. Quand on est deux à sourire au premier sourire d’un enfant ; quand on est deux pour attendre son réveil ; quand on est deux à s’alarmer de ses cris, on est bientôt heureux de la même joie, triste des mêmes peines. Il n’est pas jusqu’à l’antique château qui ne se ressentît de cette diversion. Son caractère grave, comme celui de son maître, s’épanouit. Une