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aussi clairvoyant au moins qu’un mari, ne s’apercevrait pas le premier de cette intrigue, dont il découvrirait toutes les nuances, excepté l’innocent mensonge sur lequel elle reposerait ? Le moyen lui parut d’abord impraticable ; cependant il promettait de trop beaux résultats pour qu’elle l’abandonnât sans l’avoir longtemps débattu. Sa pensée y revint sans cesse ; elle s’y fixa. Ervasy éprouverait peut-être une douleur ; cette douleur l’occuperait, ferait diversion ; de la diversion à un changement complet dans les idées, il n’y a qu’un pas. La santé est subordonnée au moral dans un corps bien organisé. Mais à la faveur de quel plan est-il possible de paraître ne pas avoir un amant aux yeux du monde, tout en en ayant un pourtant, un amant fictif qui n’est soupçonné que par le mari ?

Madame Ervasy remonta de son expérience en défaut à l’expérience qu’on rencontre toute faite, et fort mal faite dans les livres. Les livres qu’elle avait lus étaient en grande partie des romans. Qu’avait-elle remarqué dans la plupart de ces romans, où les femmes ne sont peintes avec vraisemblance que pour les hommes, et jamais avec une ombre de vérité pour les femmes ? Entre autres monstruosités ces romans lui avaient appris que les grandes dames ne prenaient à leur service que de beaux hommes pour remplir l’emploi de chasseur, afin d’en faire tout simplement leurs amants. Elle aurait ri autrefois jusqu’aux larmes de cette délicatesse avec laquelle on présente leurs passions dans les livres. Stupide ou niaise, qu’importe la croyance, si elle est admise, pensa-t-elle, et admise surtout par ceux qu’on a le plus d’intérêt à tromper ? J’ai un chasseur, et il réunit, ajouta-t-elle mentalement, toutes les conditions dési-