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C’est du bonheur ! voilà le bonheur ! murmurait Ervasy en regagnant son hôtel.

N’était-ce pas réellement le bonheur ? Il allait à pied comme tout le monde ; il avait été grondé, tourmenté, battu, mais battu, tourmenté, grondé par une jolie grisette de dix-sept ans, par Reine Linon, la perle des blanchisseuses du faubourg Saint-Honoré.


III.

L’influence de Reine Linon ne pouvait déjà avoir amélioré la santé d’Ervasy, sur qui pesait une atonie de plusieurs années. Quand elle s’était montrée à lui, il était si sombre et si affecté que la guérison, si elle s’effectuait un jour, marcherait avec lenteur et éprouverait à chaque instant des points d’arrêt décourageants. La vue seule de son hôtel le replongeait dans sa mélancolie ; il ne parvenait point encore à surmonter l’ennui que lui inspirait la monotone opulence répandue autour de lui. Il exhalait de longs bâillements devant sa riche collection de statues ; il sentait des élancements de goutte en marchant sur les tapis étendus depuis le perron jusqu’aux mansardes. Un frisson le saisissait en laissant glisser sa main sur le velours de la rampe. Son estomac se fermait à l’aspect des montagnes de mets dont on couvrait sa table. Sa seule consolation à tant d’ennui, était Reine Linon ; mais il ne pouvait pas être toujours chez elle. D’ailleurs élevé aux fières leçons de sa mère dont l’orgueil se composait de beaucoup de vertus, il ne négligeait pas la société de sa