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suis ! Attendez, je vais vous brosser, mettre un fer au feu. Y a-t-il encore du feu ? dit-elle en s’accroupissant sous la cheminée. Nous sommes sauvés, il y a encore du feu. Bravo ! Puis, sans changer d’attitude, elle tourna la tête et demanda à Ervasy : Avez-vous dîné ?

— Ma foi, non, répondit Ervasy.

— Ni moi non plus, dit Reine. Si nous dînions. Dînons, En deux temps ! Vite une serviette, débarrassez la table, les couverts sont ici, le pain est là.

Les côtelettes faisaient déjà entendre leur monotone pétillement, tandis qu’un des plus riches banquiers d’Europe mettait le couvert dans la chambre d’une grisette.

Avec quel délicieux appétit il mangea, lui qui, quelques heures auparavant, n’osait pas effleurer de ses lèvres les mets apprêtés par son habile cuisinier. Comme il trouva le pain bon, la salade parfumée ! C’est que Reine Linon le regardait, lui parlait, l’amusait dé son gazouillement où il était question de politique, de littérature, de musique, de tout ; c’est que lorsqu’elle allongeait le bras pour demander à boire, il prenait ce bras et il en admirait la blancheur, la grâce particulière sous les reflets jaunes et verts des émeraudes et des topazes incrustées dans le bracelet.

Au dessert, Reine chanta ; elle exigea qu’Ervasy chantât aussi. Il chanta comme chante un banquier.

Jusqu’à minuit moins dix minutes, son bonheur se prolongea. À cette heure solennelle, qui marque le terme de la complaisance des portiers, Ervasy prit congé de Reine, de Reine Linon, belle, fraîche, reposée comme un lilas de Perse après l’orage.