Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions de Reine, Ervasy recevait entre les côtes une de ces estocades à l’italienne, auxquelles tout homme qui a passé trente-cinq ans doit s’attendre de la part d’une grisette ou d’une duchesse, fût-il planté comme Apollon et joli comme le Bacchus indien.

À un moment donné, toute jeune femme met sur table l’extrait de naissance d’un homme moins jeune qu’elle. C’est une conséquence de la férocité des femmes à cacher leur âge. Toute leur vie est sur un nombre, comme celle des grands joueurs. Ceci les enrichit et ceci les ruine.

Ervasy se tut pendant quelques minutes.

— Après tout, dit-il ensuite, je n’ai tué personne. Et tu ferais mieux, ma chère Reine, de me pardonner, quoique j’ignore quelle est ma faute, si ce n’est celle d’être venu aujourd’hui trop tard chez toi.

— En ce cas, monsieur, faites-moi l’amitié de vous retirer, dit Reine, après avoir ployé sa broderie et posé son dé sur une épingle de sa pelote, j’ai sommeil.

— Je t’en prie, ma chère enfant, ne t’aigris pas ainsi à plaisir le caractère.

— Vous trouvez mauvais, peut-être, que j’aie sommeil ? Les blanchisseuses dorment à Paris.

— Il n’est que dix heures et demie. Tu as cassé le verre de ta pendule ?

— Apparemment. Bonsoir ! au plaisir ! ajouta-t-elle en dénouant son tablier de foulard, et en jetant son bonnet sur le fauteuil.

— Mais tu ne veux donc pas m’entendre ?

— Allez-vous en ! Le portier vous a remarqué. Je n’aime pas les suppositions.